
Le 1er mai, un jour férié au régime strict
Le 1er mai revêt une signification particulière en France. Historiquement chômé, il est, selon le Code du travail, le seul jour de l’année où le repos est obligatoire pour les salariés. L’article L3133-4 du Code du travail établit cette règle générale. Cependant, la loi prévoit une exception pour « les établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ».
Dans ces cas, les salariés autorisés à travailler le 1er mai doivent être payés double.
La loi ne fournit pas de liste exhaustive des secteurs concernés, mentionnant a priori ceux qui bénéficient du repos hebdomadaire par roulement comme les entreprises de transport, les usines à feu continu, les hôtels ou encore les entreprises de gardiennage.
En cas de non-respect de cette interdiction, l’employeur s’expose à des sanctions. Une amende de 750 euros par salarié ayant travaillé illégalement le 1er mai est prévue pour une personne physique, et jusqu’à 1 500 euros si le salarié est mineur. Cette amende est prononcée autant de fois qu’il y a de salariés concernés.
Le cas particulier des boulangeries et commerces de proximité
Malgré la règle générale, certains commerces, notamment les boulangeries et les fleuristes, ont pris l’habitude d’ouvrir leurs portes le 1er mai. Pour les boulangeries, une tolérance semblait admise, s’appuyant sur une position ministérielle datant de 1986 qui laissait entendre que les commerces bénéficiant d’une dérogation au repos dominical pourraient également faire travailler leurs salariés le 1er mai.
Cependant, cette interprétation a été remise en cause par une décision de la Cour de cassation en 2006, qui a mis fin à cette tolérance, estimant qu’il n’y avait pas de raison de faire une exception pour les boulangers. Bien que cette décision soit restée en retrait pendant des années, la situation s’est tendue à la suite de contrôles inopinés menés par l’Inspection du travail le 1er mai 2024. Ces contrôles ont conduit à des amendes et des rappels à la loi pour plusieurs boulangers, notamment cinq en Vendée. Ces boulangers ont finalement été relaxés par le tribunal de police de La Roche-sur-Yon le 25 avril 2025. Toutefois, ce jugement ne sécurise pas juridiquement l’ensemble de la profession.
Pour le 1er mai 2025, face à l’incertitude juridique et au risque d’amendes, la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF) a préconisé à ses adhérents de ne pas faire travailler leurs salariés, « tant que la loi n’aura pas clarifié les choses ». Seules certaines exceptions pourraient permettre le travail de salariés, comme la livraison à des hôpitaux, prisons ou EHPAD, ou la situation de boulangerie unique dans une commune.
Le président de la CNBPF, Dominique Anract, souligne que le 1er mai est traditionnellement une très bonne journée en termes de ventes, avec un chiffre d’affaires qui peut doubler par rapport à un jour normal. Fermer ce jour représente un manque à gagner important pour le secteur.
D’autres professions sont confrontées à des situations similaires. C’est le cas des fleuristes, pour qui le 1er mai, lié à la vente du muguet, est l’une des journées les plus importantes de l’année. Ils déplorent de ne pas pouvoir faire travailler leurs salariés volontaires et payés double, alors que des vendeurs de muguet sur la voie publique sont autorisés.
Le flou juridique touche aussi d’autres commerces alimentaires comme les charcutiers-traiteurs ou les poissonniers, dont les conventions collectives prévoient la possibilité de faire travailler les salariés le 1er mai avec majoration. Les restaurants bénéficient également d’une position ministérielle favorable datant de 2016, mais celle-ci n’a pas valeur de loi et les inspecteurs restent indépendants. Seuls les propriétaires non salariés ou les membres de leur famille non salariés peuvent faire « tourner la boutique » sans risque juridique certain.
Une proposition de loi pour assouplir les règles du 1er mai
Face à cette situation jugée « absurde » par certains professionnels et qui crée une « insécurité juridique majeure », une initiative législative a été lancée. Deux sénateurs, Annick Billon de Vendée et Hervé Marseille des Hauts-de-Seine, ont déposé au Sénat une proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai. Ce texte, qui ne mentionne pas expressément les boulangeries mais les vise particulièrement, tout comme les fleuristes, cherche à modifier l’article L. 3133-6 du Code du travail.
L’objectif est d’élargir la dérogation au chômage du 1er mai pour qu’elle s’applique aux établissements « dont le fonctionnement ou l’ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l’activité ou les besoins du public, mentionnés à l’article L. 3132-12 ». Cela correspond aux établissements autorisés à accorder le repos hebdomadaire par roulement. Bien que les boulangeries ne soient pas explicitement listées, cette catégorie inclut la « fabrication de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate », ce qui pourrait les englober.
Cette proposition de loi est soutenue par le gouvernement. La ministre du Travail, Catherine Vautrin, a souligné que le débat était une question de « liberté » et que le pain était une « tradition française ». Elle a indiqué que le gouvernement soutiendrait l’initiative pour sécuriser le droit et répondre aux attentes des boulangers, mais aussi d’autres professions dont l’activité est indispensable. La ministre déléguée Astrid Panosyan-Bouvet a jugé l’application actuelle de la loi « difficilement compréhensible » pour des métiers importants, suggérant une possible souplesse dans les contrôles cette année avant une adaptation législative.
La proposition de loi est accueillie favorablement par les organisations patronales, comme l’U2P et la CPME, qui appellent à cesser de « d’emmerder les Français, il faut arrêter d’emmerder les entreprises et les salariés qui veulent travailler ».
En revanche, elle rencontre une vive opposition de la part de la CGT, dont la secrétaire générale, Sophie Binet, défend fermement le caractère férié et chômé du 1er mai comme un acquis fondamental obtenu par les luttes ouvrières. Elle estime qu’on peut survivre un jour sans baguette de pain et craint que cet assouplissement n’ouvre la voie à une libéralisation similaire à celle du travail dominical.
Le texte de la proposition de loi a été déposé au Sénat le 25 avril 2025. Son parcours législatif reste incertain, et même s’il était adopté rapidement, il ne pourrait pas entrer en vigueur avant le 1er mai 2026. En attendant, les inspecteurs du travail conservent leur indépendance, et la possibilité d’ouvrir avec des salariés le 1er mai reste, pour la plupart des boulangeries et commerces, un risque juridique.