
Dans le domaine de la gestion des rémunérations en Europe, c’est une évolution majeure qui se profile pour 2026. La Directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023 sur la transparence des rémunérations est en passe de remodeler la manière dont les entreprises structurent, communiquent et justifient les salaires. La France a jusqu’au 7 juin 2026 pour transposer ces nouvelles dispositions dans son droit national. Il est impératif d’anticiper ces changements pour s’y conformer et en tirer parti.
Cette directive découle du constat persistant d’écarts de rémunération significatifs entre les femmes et les hommes au sein de l’Union européenne, atteignant par exemple 14,2 % en France dans le secteur privé à temps de travail équivalent. Ces inégalités sont attribuables à divers facteurs, dont le manque de transparence des systèmes de rémunération.
L’objectif principal de la directive est de renforcer l’application du principe d’égalité de rémunération pour un même travail ou un travail de même valeur, en rendant visibles les écarts et en facilitant leur correction. Elle vise également à donner aux travailleurs et aux candidats un droit à l’information et à impliquer les partenaires sociaux.
Principales dispositions à mettre en œuvre
Transparence dès le recrutement
Les employeurs devront indiquer dans les offres d’emploi (ou avant le premier entretien) la rémunération initiale ou une fourchette de rémunération. Les mentions évasives comme « salaire selon profil » seront proscrites.
Il faudra également communiquer, le cas échéant, les dispositions pertinentes de la convention collective applicable.
Il est désormais interdit de demander aux candidats leur historique de rémunération.
Droit à l’information des salariés en poste
Les employeurs devront rendre facilement accessibles les critères objectifs et non sexistes utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et la progression salariale. Les entreprises de moins de 50 salariés pourraient être exemptées de l’obligation concernant la progression de la rémunération.
Tout travailleur pourra demander et recevoir par écrit des informations sur son niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunération moyens, ventilés par sexe, pour les catégories de travailleurs effectuant un travail identique ou de valeur égale.
Les employeurs devront répondre à ces demandes dans un délai raisonnable, au plus tard dans les deux mois.
Les salariés devront être informés de ce droit chaque année.
Interdiction des clauses de secret salarial
Les États membres devront interdire les clauses contractuelles empêchant les travailleurs de divulguer leur rémunération, afin de ne pas entraver l’application du principe d’égalité des rémunérations.
Communication de données sur les écarts de rémunération
Les entreprises de 100 salariés et plus devront communiquer régulièrement des données détaillées sur les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes.
Ces données incluent l’écart de rémunération global, l’écart sur les composantes variables, l’écart médian, la proportion de bénéficiaires de variables et la proportion d’hommes/femmes dans chaque quartile de rémunération.
La fréquence varie selon la taille de l’entreprise :
- 250 salariés et plus : Annuellement, à partir du 7 juin 2027.
- 150 à 249 salariés : Tous les trois ans, à partir du 7 juin 2027.
- 100 à 149 salariés : Tous les trois ans, à partir du 7 juin 2031.
L’exactitude des informations doit être confirmée après consultation des représentants du personnel.
Ces données devront être communiquées à une autorité nationale désignée qui les compilera et les publiera. Les entreprises peuvent aussi les publier sur leur site.
En France, l’Index Égalité Professionnelle actuel devra évoluer pour intégrer ces nouvelles exigences, notamment sur les composantes variables ou complémentaires. Le gouvernement prévoit six indicateurs « automatisables » via la DSN et un septième calculé par l’employeur.
Évaluation conjointe des rémunérations
Si les données communiquées révèlent une différence de niveau de rémunération moyen d’au moins 5 % entre les femmes et les hommes pour une catégorie de travailleurs, et que cette différence n’est pas justifiée par des critères objectifs non sexistes, l’employeur doit y remédier dans les 6 mois.
À défaut de correction dans ce délai, une évaluation conjointe des rémunérations avec les représentants du personnel est obligatoire. Cette évaluation vise à identifier, corriger et prévenir les écarts injustifiés.
Conséquences pour les employeurs
La directive représente une refonte profonde des pratiques de gestion salariale:
- Refonte des grilles de rémunération : Nécessité de mettre en place des grilles transparentes et objectives, basées sur des critères non sexistes (compétences, efforts, responsabilités, conditions de travail). Cela implique une révision des fiches de poste pour inclure des fourchettes de rémunération, les critères d’évolution et les perspectives de carrière.
- Documentation et justification : Chaque écart de salaire devra être objectivement justifié. L’époque où les différences pouvaient s’expliquer par des considérations subjectives touche à sa fin.
- Formation des managers et RH : Les équipes devront être formées à l’égalité salariale et à la non-discrimination.
- Adaptation des outils RH : Même les meilleurs SIRH, notamment les outils de GEPP (Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels), devront évoluer pour afficher les fourchettes salariales, générer des rapports sur les écarts, permettre l’accès sécurisé aux données salariales moyennes pour les salariés, et interdire la demande d’historique salarial.
- Renforcement du dialogue social : Le rôle des représentants du personnel est accru, notamment dans l’évaluation des écarts et la définition des mesures correctives.
Sanctions et recours
En cas de non-respect des obligations, des sanctions administratives effectives, proportionnées et dissuasives sont prévues, potentiellement sous forme d’amendes calculées sur la masse salariale ou de manière forfaitaire. Des sanctions spécifiques s’appliqueront en cas de violations répétées.
Un élément clé est l’inversion de la charge de la preuve en cas de litige : si un employeur ne respecte pas les obligations de transparence, il lui incombera de prouver l’absence de discrimination, sauf si la violation est manifestement non intentionnelle et mineure. Les travailleurs pourront obtenir une réparation intégrale du préjudice, sans plafond prédéfini, incluant les arriérés de salaire, les opportunités manquées et le préjudice moral.
Comment préparer cette transformation ?
Réviser les référentiels métiers et fiches de poste : Intégrez les fourchettes salariales, les critères d’évolution et les perspectives de carrière. Assurez-vous que les compétences non techniques (soft skills) soient valorisées, car elles pourraient être incluses comme nouveaux critères de « valeur égale ».
Mettre à jour les outils SIRH/GEPP : Vérifiez que vos systèmes peuvent gérer et structurer les données salariales de manière granulaire, générer les rapports requis, et offrir un accès sécurisé aux informations pour les salariés.
Analyser et justifier les écarts actuels : Procédez à un diagnostic approfondi de vos politiques de rémunération. Anticipez les frustrations potentielles et préparez des explications claires et objectives pour tout écart existant.
Engager le dialogue social : Impliquez les représentants du personnel dans le processus. Leur participation est essentielle pour la validation des données et les évaluations conjointes.
Former les équipes : Sensibilisez et formez les managers et les équipes RH aux nouvelles obligations et à la culture de la transparence.
Calendrier de transposition et d’application
- 7 juin 2026 : Date limite de transposition de la directive en droit national.
- Septembre 2025 : Le projet de loi de transposition en France devrait être présenté au Conseil d’État.
- Fin 2025 : Adoption envisagée de la loi de transposition.
- 7 juin 2027 : Premières obligations de communication de données pour les entreprises de 250 salariés et plus, et de 150 à 249 salariés.
- 7 juin 2031 : Premières obligations de communication de données pour les entreprises de 100 à 149 salariés.
- À partir de l’index 2026, à déclarer en 2027 : Les nouvelles mesures s’appliqueront à l’index de l’égalité professionnelle.